Quentin FAUGERAS
Artiste spécialisé dans l'étude des traits de l 'Art pariétal européen préhistorique et de l 'art rupestre néolithique saharien
Texte écrit du 20 au 22 juin 2020
La parole du Noir
Depuis la nuit des temps, l’Univers me considère comme la couleur du Chaos, mais aussi la couleur du mystère et de l’intrigue.
L’Afrique, reconnue comme le berceau de l’Humanité, m’a élevé au rang de couleur des origines et est devenu mon royaume.
Pourtant, malgré ce grand honneur, je suis victime de préjugés qui à tout moment peuvent me rattraper et que je dois sans relâche dépasser.
Aujourd’hui, en réponse aux actes de violences racistes commis sur des citoyens noirs en France, aux Etats- Unis et ailleurs, j’ai décidé de prendre la parole pour rendre hommage à tous les êtres qui m’ont porté et soutenu dans leur long combat pour la liberté et la vie.
A travers ce discours je vous révèlerai ma véritable nature et exprimerai les maux et les regrets que j’éprouve face à ces actes de violence.
« Avant tout couleur de fraternité, je suis une couleur d’humanisme. »
Cela fait bien longtemps que je ne compte plus les crimes qui furent commis en mon nom, sur des innocents qui n’ont pas choisi de me porter sur leur peau. Nombre de fois j’ai dû faire face à la haine, à la crainte, aux violences racistes et au mépris de la plupart des hommes, tant sur le plan psychologique, physique, et artistique ! Ne serait-il pas temps pour l’Homme de me regarder en face et de percevoir en moi un sentiment d’unité et de fraternité ?
A l’aune du second millénaire, le 26 mai 2020, alors que les Etats-Unis d’Amérique et le reste du monde, sont en plein déconfinement, les noirs américains ont depuis plusieurs semaines clamé leur colère et leur indignation en raison de la mort d’un de leur frère de couleur, George Floyd, mort étranglé par les genoux d’un policier blanc.
Malgré les interpellations des passagers qui criaient :
« Cet homme ne respire plus ! Enlever vos genoux de son cou ! Il ne peut plus respirer ! »
Les forces de l’ordre n’ont rien voulu entendre et finirent par l’achever.
Quelques semaines après cet assassinat, de nouvelles victimes noires furent une fois de plus abattues par des policiers à coups de pistolet et de taser !
En France, les journalistes avaient rapporté des scènes de violences où de jeunes citoyens noirs se sont fait tabasser à coup de matraque.
Bien que nous soyons au XXI ème siècle je continue toujours de pleurer les hommes les femmes et les nombreux enfants condamnés chaque jour à supporter les injures, la discrimination, ou bien à périr sous les coups de violence raciale. Lorsque l’être humain est bel et bien devenu Homme, une espèce à part entière, la plupart de ses semblables n’ont cessé d’affronter la différence au lieu de l’accepter.
Inutile de rentrer dans les détails de la barbarie qu’ont dû subir des millions d’êtres humains noirs lors la traite négrière. Déracinés de leur terre mère, ils se sont retrouvés enchaînés dans les cales des bateaux négriers.
Après avoir traversé l’Océan Atlantique, ils sont arrivés sur les îles des Antilles, puis sur le continent Nord-Américain.
Là ! Ils ont été vendus comme du bétail, pour être ensuite utilisés comme force de travail dans les plantations de cannes à sucre, de bananes et de café.
Le commerce triangulaire entre les Etats-Unis et les pays européens fut le théâtre, pendant près de 400 ans, d’échanges de marchandises humaines troquées contre des armes ou des denrées alimentaires, voir des objets précieux comme des étoffes ou de l’ivoire.
Mais ce qui est pour ma part révoltant, c’est le fait qu’un homme sous prétexte qu’il me porte comme couleur de peau, se fasse flageller, pendre, réduit à l’état de sous homme, sous prétexte d’être moins évolué sur le plan intellectuel et technique que l’homme occidental blanc. Encore aujourd’hui, le racisme et l’esclavage sont encore d’actualité, bien qu’ils aient pris une nouvelle forme.
Où en sommes-nous de ce long combat pour la liberté ?
Dans son ouvrage intitulé, Discours sur le colonialisme, suivi du Discours sur la négritude, l’auteur Aimé Césaire a exprimé les deux facettes du terme de la négritude qu’il décrit comme une prise de conscience collective et un sentiment d’unification et de fraternité des populations noires, face à un même destin.
Du XV ème siècle jusqu’ au XX ème siècle, c’était le temps de la négritude passive où les esclaves noirs étaient assujettis à la puissance des colons occidentaux. Malgré l’oppression, des savants comme les philosophes des Lumières, ou des militaires comme Toussaint Louverture dénonçaient déjà les châtiments et les actes barbares que subissaient les esclaves noirs.
Ainsi, Voltaire nous fit part de la description du nègre de Suriname aux membres manquants, dans son célèbre livre, Candide.
Dans la deuxième moitié du XXème siècle jusqu’ à maintenant, nous entrons dans la négritude active.
Des étoiles noires, comme Martin Luther King et son célèbre discours, I have a dream, ou encore l’ex président Sud-Africain, Nelson Mandela et l’ancien président des Etats-Unis, Barack Obama, participèrent à la lutte contre le racisme et ont démontré que l’Homme noir, bien qu’il puisse me porter sur sa peau, est égal à l’Homme blanc. A l’heure où je vous parle des millions d’hommes et de femmes libèrent leur parole et clament leur saturation face au racisme. A travers eux je n’ai nullement peur de me montrer !
Parce qu’un homme est noir il mérite d’être sanctionné et d’être abattu à coups de balle de pistolet dans le crâne ?
Parce qu’un homme est noir, on a le droit de le pouchasser avec un taser ?
Parce qu’un homme est sombre de peau, il est légitime d’afficher son visage aux coté de céréales et le traiter de vulgaire Banania.
Combien d’êtres humains doivent être encore tabassés, linchés, insultés, voir même tuer au nom de ma couleur ?
Combien de temps encore faudra t’il supporter les insultes racistes tels que sale nègre, sale singe, Banania, ou pire, les blagues racistes du genre :
« Qu’est-ce qu’on appelle des bracelets pour les noirs, des menottes bien sûr ! »
« Qu’est-ce qu’une merde dans un égout, un noir à Aqualand ! »
« Au-delà de l’homme, se cache en moi une nature insoupçonnée. »
Nombreux sont les récits où je fus associée aux antihéros, à la mort et aux épisodes apocalyptiques dans les mythes et légendes. Couleur de l’obscurité de la nuit, des enfers en m’associant au rouge, voire même à l’entité du mal, on m’oppose souvent à la couleur étincelante de la lumière, associée à la fois à la voix de la vérité, au paradis chrétien et à la volonté de faire le bien.
Cette opposition flagrante fut représentée à de multiples reprises dans l’histoire de l’Art.
A la fin du XVI ème siècle et début du XVII ème siècle, durant la période de la Renaissance italienne, l’artiste italien Caravage, a utilisé la technique du clair- obscure dans ses nombreuses œuvres.
Dans la dimension religieuse, j’ai participé à l’expression de la souffrance et l’atrocité des scènes des martyrs chrétiens, prêts à se sacrifier pour prouver leur foi en Dieu.
Ce jeu entre l’ombre et la lumière fut aussi utilisé dans les scènes nocturnes de Caravage, révélant l’angoisse de la nuit qui régnait à son époque, en insistant sur l’ambiance sombre des rues qui du temps de l’artiste, pouvaient être le théâtre de violences et de meurtres.
Au XX ème siècle, l’artiste espagnol Pablo Picasso m’a utilisé dans son célèbre tableau nommé Guernica, réalisé en 1937, pour souligner le désastre du bombardement de la ville de Guernica. Face à la couleur blanche présentant les pauvres et innocents rescapés, victimes de la catastrophe je représente pour ma part la ville détruite.
De manière générale il serait légitime de croire que ma destiné est d’être blâmé, insulté, déshonoré ?
Pourtant certains artistes ont su tirer parti de la véritable nature de la couleur noire et ont su la faire évoluer à travers leurs œuvres et sont allé même jusqu’à réconcilier le blanc et le noir.
Ainsi, l’artiste Pierre Soulages marie le noir et le blanc de façon subtile afin de créer un seul ensemble.
Par ailleurs, dans le sud de la France, sur le site de Vence, non loin de Nice dans l’artiste Henri Matisse a réalisé peint sur les murs blancs de la chapelle du Rosaire des scènes de la vie du christ peintes de manière abstraites en noir.
Cette chapelle est connue aussi sous le nom de « la chapelle Matisse .
Mais si nous remontons aux origines de l’humanité, bien avant l’invention de l’écriture, nos ancêtres ont dessiné, peint et gravé sur les parois de leur abris rocheux des peintures représentant des animaux en mouvement, en utilisant le relief des parois.
A travers moi, par le biais de traits tracés au charbon de bois noirs, ces premiers artistes ont projeté sur les murs des cavernes une part de leur imaginaire et du monde dans lequel ils vivaient. A travers leur gestes, les artistes de la Préhistoire nous ont laissé les images saisissantes des grands mammifères de l’ère glaciaire dans toute leur force, dans toute leur vigueur.
Par la main de l’homme tout un monde animal disparu prend peu à peu vie sous nos yeux.
L’exemple de la grotte Chauvet situé en Ardèche, présente des œuvres datées de plus de 45 000 ans montrant de grands herbivores tels que des chevaux au galop, des lions chassant des troupeaux de bisons et des rhinocéros semblant mouvoir leur corne.
Ailleurs en France, dans les calanques de Marseille, à 36 mètres de profondeur, Henri Cosquer et son équipe de plongeurs découvrent en 1985 une grotte sous-marine dans laquelle des représentations de chevaux, de pingouins géants, de bouquetins et de bisons évoluent dans univers formé de calcites, de galerie et de passage semblables à des boyaux du corps humains. Dans cet univers presque irréel les artiste s du passé ont laissé leurs empreintes de mains sur les murs de la grotte.
Me voilà une fois de plus utilisée au service de la pensée humaine.
J’ai contribué à donner une impression de vie aux sujets peints. Les coups de traits assurés et donnés au charbon de bois, pouvant être associés à mes coups de griffes, semblent faire bouger l’épaisse toison laineuses des bisons et les crinières des chevaux.
Dans les autres endroits du monde, les hommes se sont servis de moi dans la réalisation de leurs œuvres en m’associant à d’autres couleurs comme l’ocre.
Que je sois sous la forme de pigments, ou de peinture, je servis de touche finale détenant le pouvoir de vie aux œuvres d’art, aussi bien dans le domaine du mouvement que dans la profondeur du regard animal et humain.
« Parallèlement à l’Art, je fais partie du monde vivant »
Depuis des milliards d’années, la vie n’a cessé d’évoluer et de faire des expériences au sein du monde vivant.
Prédateurs et proies n’ont cessaient de développer de nouvelles armes d’attaques et de défenses. Que l’on soit Homme, animal ou végétal, nous sommes vouées à la loi de l’impermanence et devons sans cesse nous adapter à un monde en plein changement. Deux solutions s’offrent à nous : survivre ou disparaitre !
Loin des cités urbaines, dans les contrés les plus inaccessibles du globe, la vie animale s’est épanouie.
Dans les jungles africaines et asiatiques des prédateurs me portent sur leur peau comme un drapeau marquant leur identité.
C’est le cas de la fameuse panthère noire redoutée pour ses talents de chasseuse.
Ce léopard qui a subi une mutation génétique appelé mélanisme a le pouvoir de se fondre dans les hautes herbes et guetter la moindre gazelle ou antilope grâce à sa robe noire.
Des prédateurs plus dangereux comme le serpent venimeux, appelé mamba noir ou encore l’araignée veuve noir sont connu pour leurs morsures mortelles.
D’autres carnivores affirment leur identité grâce aux étranges motifs que je dessine subtilement sur leur doux pelage. Le tigre et le jaguar marient leurs motifs noirs tachetés et rayés avec leur couleur de fond jaune ou orange.
Dans les océans, des mammifères marins se dotent d’une peau noire habilement mariée avec des taches blanches. Connues pour leurs attaques éclaires et leur système de communication rodé, ces monstres des profondeurs effraient la plupart des prédateurs marins, même le grand requin blanc.
Pouvant mesurer jusqu’à 9 mètres de long, les orques sont des chasseresses redoutables. Guidées par une matriarche, elles arpentent les vastes contrés sous-marines en quête de poissons, ou d’otaries à se mettre sous la dent. Etant les plus grands représentants de l’ordre des delphinidés, elles vont même s’attaquer à des proies bien plus imposantes qu’elles comme les majestueuses baleines à bosses ou encore les baleines grises.
« Pourrait ton me considérer comme une couleur aux supers pouvoirs ? »
Grâce à la complicité que j’entretiens avec certains êtres vivants et minéraux, mère nature m’a permis d’acquérir certains pouvoirs. Celui qui me tient particulièrement à cœur est celui de pouvoir absorber la chaleur.
Lorsque je m’associe aux pierres peut arriver qu’elles brulent par la suite à cause de ma capacité à absorber les rayons infrarouges du soleil et stocke ainsi la chaleur.
Par ailleurs, à travers le chant des négro spirituals et chanteur de Gospel comme Nina Simone, Neil Armstrong, Ella Fitzgerald, ou encore Ray Charles, j’ai pu libérer l’essence de ma couleur.
« Alors que peut-on retenir de moi ? »
Toile intitulée: le mirage de l'éléphant (quentifaugeras.com)
Si je devais me comparer à un animal je prendrais volontiers l’éléphant.
Cet animal gigantesque, aux longues défenses, à une grande mémoire des évènements qu’il a traversé au cours de son existence. Comme moi.
Par ailleurs, lui aussi connais en ce moment des périodes de violences, comme moi je l’ai connu avec les actes racistes. Mais lui seulement pour ses défenses.
En dehors de moi, simple couleur, le seul autre mammifére, comparable à l'homme , qui est capable de changer son environnement sur une courte période, c’est l’éléphant !
Tous deux ont le pouvoir de changer leur monde.
Certains, aujourd’hui prennent exemple sur cet animal et militent pour changer la mentalité de la société humaine. Certains hommes vont même militer contre le braconnage que subit cette espèce en Afrique et en Asie. Cette espèce est menacé de disparaitre.
Mais l’Homme quand est-il de lui ?
Aujourd’hui, que l’on soit une personne noire, une femme ou bien un être différent des autres, nous sommes tous vouer à nous battre chacun à notre niveau pour casser les préjugés qui nous empoisonnent, à l’image d’un plafond de verre ; certains ont réussi à en percer une partie, mais le chemin est loin d’être encore accomplie.
Ensemble, vous serez plus fort et vous me sauverez !
Quentin Faugeras